L’île était de sable et d’herbe, de soleil jaune et de vent. Le magicien y habitait une maison de pierre bleue et se consacrait entièrement à la conception du Temps qui n’existait pas alors. Il restait ainsi cloîtré dans son laboratoire de magie, pendant que la pie voletait aux alentours.
Au détour d’un vol, la pie pénétra dans la pièce enfumée, juste à l’instant où le magicien ajustait la dernière cheville temporelle sur sa bulle-horloge prête à démarrer.
Son geste précis fut dévié, et l’espace autour de l’objet magique s’emplit soudain de distorsions lumineuses.

Fou de rage, le magicien captura l’oiseau d’un sortilège foudroyant.
Il l’enferma dans la bulle-horloge. À tout hasard, il remonta le mécanisme, puis marcha sous un ciel noir jusqu’à l’océan tempétueux pour la jeter aux vagues démesurées.

  Bien plus tard, quand la pie reprit ses esprits, seule enfermée dans sa prison sphérique égrainant ses tics et ses tacs, l’océan était devenu l’horizon.  
La bulle finit par échouer sur une plage rocheuse, où vivaient des hommes. Ils étaient vêtus de peaux de bêtes et habitaient les cavernes du rivage. Comme ils ne parvinrent pas à casser la bulle-horloge pour libérer l’oiseau, ils formèrent une grande procession aux sons de tambours claquants pour transporter la sphère mystérieuse jusqu’à la rivière voisine.

Au fil de l’eau, la bulle-horloge traversa vallées et plaines, les jours et les nuits se succédèrent.
Un soir d’été, un petit garçon la sortit du fleuve et la ramena chez lui. Comme les hommes d’autrefois, il essaya d’ouvrir la bulle-horloge, tenta de la briser, sans succès. Alors, il adopta la pie dans sa prison et la rangea avec ses jouets.

Un jour qu’il prenait le train pour partir en vacances, il l’oublia dans le wagon.
Le train roula sans fin jusqu’à son lointain terminus. C’était une grande plaine grise qui accueillait une base de lancement spatial. Les hommes déchargèrent le train qui contenait du matériel d’expédition lunaire : une mission était programmée dans quelques jours.

On supposa que la bulle-horloge et son occupante devaient servir à des tests biologiques : elle fut conditionnée dans un containeur métallique et chargée dans l’immense fusée qui quitta la Terre.
Tic tac, tic tac, le chemin de la lune est un trait qui coupe en deux l'obscurité.

Quand la fusée se posa sur le paysage de roche et de poussière, les humains s’affairèrent à construire des abris. Ils découvrirent la bulle-horloge avec surprise : elle n’était pas référencée dans leur matériel. Après avoir essayé de libérer la pie de leurs outils sophistiqués sans succès, ils décidèrent de l’abandonner, car la place manquait déjà dans les abris…

Des hommes en scaphandre déposèrent la bulle-horloge au centre d’un grand cirque de roche grise, prirent quelques photos avant de s’éloigner à jamais.
Poussière de planète et poussière d’étoile : l’univers est un sablier qu’on ne retourne pas.

Dans les temps qui suivirent, les hommes découvrirent des exo-planètes lointaines. Ils décidèrent alors une expédition sans retour qui devait décoller de la Lune.
L’explorateur de l’espace était anxieux, sachant qu’il allait traverser des siècles dans un sommeil cryogénique. La veille de son départ, il fit une dernière sortie sur le sol lunaire…

Mais ce jour-là c’est de la lumière au dessus d’un scaphandre qui la tira de sa torpeur. Elle se secoua, battit des ailes, ouvrit le bec.
La lueur s’approcha, l’aveugla. La bulle-horloge fut soulevée, transportée, ramenée aux abris. Pendant le trajet, une main gantée effaçait sur la bulle la poussière, lui permettant de redécouvrir le paysage gris et d’apercevoir le visage souriant de l’homme, lui aussi derrière une bulle.

Il décida de l’embarquer avec lui pour le grand voyage intersidéral, et posa la bulle horloge sur le siège voisin du sien dans le vaisseau spatial qui quitta la Lune.
Comme le voyage devait durer longtemps et que l’Explorateur n’avait pas la vie assez longue, il dut se coucher dans une machine qui le maintiendrait dans un long sommeil. Il laissa ainsi la pie seule, face à l’espace sans fin.
Bien longtemps plus tard, droit devant le vaisseau, apparut une boule bleue. Peu après, les voyants et les boutons se mirent à clignoter.  Peut-être l’Explorateur aurait-il dû se réveiller, peut être le vaisseau aurait-il dû faire seul une manœuvre…

La planète était un océan. Le vaisseau y plongea, seule la bulle-horloge échappa au naufrage et finit par émerger.
À nouveau les flots et le ciel… La pie toujours vivante comptait les jours de cette nouvelle planète en regardant passer son soleil.

Un jour, une forme se dessina à l’horizon…
La bulle-horloge s’échouât sur la plage. Le magicien était là, il n’avait pas changé. Il observa la pie en penchant sa tête de côté, écouta le son de l’horloge, puis se mit en route pour la maison bleue.
Une fois dans son laboratoire, la bulle-horloge s’ouvrit d’elle-même, le temps était enfin venu. Alors qu’il se répandait sur le monde dans une mélodie enivrante, formés de sons inconnus, le magicien laissa éclater sa joie en riant aux éclats.
La pie secoua ses ailes, fléchit ses pattes, et s’élança.

 

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